La raison
Dans un sujet précédent (Qui a raison : Descartes ou Pascal ?), j'ai exposé l'opposition classique entre Descartes et Pascal, soit entre la raison et les sentiments. J'y ai terminé ma réflexion en concluant que la meilleure façon d'envisager la vie est celle envisagée par Pascal, c'est-à-dire d'éviter de retirer à la raison toute confiance ou, au contraire, de ne se fier qu'à elle en prétendant qu'elle peut offrir une base solide à nos jugements. En fait, je crois plutôt que la meilleure façon est d'adopter une position médiane : il faut se servir autant des enseignements de Descartes que de ceux de Pascal. Ainsi, je vais résumer au meilleur de mes connaissances le concept du doute méthodique de Descartes.
« Et j'avais toujours un extrême désir d'apprendre à distinguer le vrai d'avec le faux pour voir clair en mes actions et marcher avec assurance en cette vie. » (Descartes, Discours de la méthode)
Descartes est le philosophe français le plus connu et c'est aussi celui qui a ouvert la grande aventure de la pensée moderne en prônant l'utilisation de la raison à son paroxysme, c'est-à-dire que pour lui la raison est le seul guide valable que nous devons utiliser dans la conduite de nos actions. Descartes déclare : « je ne sais rien » lorsqu'il termine ses études au collège, c'est un doute de déception puisqu'il n'a pas trouvé la certitude dans les livres et il a voyagé, mais il n'a pas non plus trouvé la certitude dans la vie. Le sceptique fait du doute une fin en soi, alors que Descartes l'utilise comme un moyen pour parvenir à la vérité. C'est ainsi qu'il élabore sa philosophie du doute méthodique en acceptant pleinement le principe du rationalisme moderne dont il en est, par ailleurs, le fondateur.
De prime abord, il veut tirer toute vérité de la méditation du moi sans recourir à aucune aide externe, ni de l'autorité, ni de la tradition et ni de l'objet d'expérience. Ensuite, il applique le doute méthodique en concluant que si je doute, en effet, c'est que je pense et douter que l'on pense est une contradiction de terme puisque nécessairement si je doute c'est que je pense. Certes il est possible qu'un Dieu trompeur me fasse croire que je doute (le doute va ici jusqu'à porter sur lui-même), mais s'il me fait croire quelque chose c'est encore que je pense (même de façon erronée) et, par là même, que j'existe.
Il est arrivé de la sorte à cette phrase célèbre « Cogito ergo sum » qui est en réalité plus complexe : « Je suis, j'existe, est nécessairement vraie, toutes les fois que je le prononce, ou que je le conçois en mon esprit. [...] Je ne suis donc, précisément parlant, qu'une chose qui pense [...] C'est-à-dire une chose qui doute, qui conçoit, qui affirme, qui nie, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi et qui sent. » (Descartes, Méditation seconde.)
Cette phrase célèbre paraît d'une logique enfantine de nos jours, mais en la replaçant dans le contexte de l'époque, on remarque que c'était une déduction sensationnelle. Il espère découvrir dans ses recherches les secrets de la nature avec une clarté et une précision égale à celles d'un théorème géométrique, cependant avec cette méditation il est arrivé à quelque chose de fort simple, que bon nombre d'individus auraient pu conclure, mais qui signifie beaucoup. Comme je pense, cela implique obligatoirement que j'existe et c'est la première certitude que Descartes a pu déduire. Ainsi, quelqu'un raisonnant de la sorte est qualifié de nos jours d'esprit cartésien puisqu'il se base uniquement sur sa raison lorsqu'il fait face à une situation où il se doit de faire un choix.
Descartes fut le premier homme de science à formuler une philosophie accordant la primauté à la raison humaine. Être ou ne pas être signifie-t-il alors être ou ne pas être rationnel ? Descartes considère que la raison est présente en chacun de nous et que nous pouvons tous construire la science vraie à condition de bien utiliser notre raison. Descartes ne rejette pas, a priori, les passions de l'âme, mais selon lui il faut « s'en rendre tellement maître et de les ménager avec tant d'adresse, que les maux qu'elles causent sont fort supportables, et même qu'on tire de la joie de tous. » (Descartes, Les Passions de l'âme.)
Finalement, nous faisons souvent cet appel à la rationalité, présentée comme source nécessaire et incontournable de la connaissance, en condamnant un autre monde perçu comme inférieur ou dégradé : celui des instincts, des émotions, des sentiments, de l'affectivité, bref le monde du cœur. Cependant, en voyant toujours la nécessité – puisque nous sommes des êtres de raison – de soumettre ce monde du vécu à la lumière de la raison, n'avons-nous pas tendance à désavouer sans réserve ni nuance ce monde du vécu ? Devons-nous absolument choisir d'être cartésien ou d'être romantique ?
Nous pouvons facilement reconnaître le Descartes ou le Pascal qui sommeille dans chaque être humain. Apprenez à vous connaître (connais-toi toi-même - Socrate). Choisissez la philosophie de vie qui vous convient le mieux. Pour ma part, je crois que les enseignements de ces deux philosophes français peuvent nous servir dans nos vies quotidiennes.