Les Américains : Mal connus, mal aimés, mal compris
Détestés par plusieurs et louangés par certains, les Américains font l'objet de maintes critiques, et ce, aux quatre coins du globe depuis leur intervention en Irak (2003). La réélection du président George W. Bush en novembre 2004 n'a fait que renforcer le mythe d'une nation américaine homogène. "Ah ces **** d'Américains" est une phrase à la mode dans le vocabulaire des citoyens occidentaux (c'est-à-dire à l'extérieur des États-Unis). Si le discours politique souvent empreint de références religieuses (peuple élu, mission...) et leur semblant omnipotence au sein de l'ONU et vis-à-vis de leurs alliés peut nous agacer, il faut toujours avoir à l'esprit que ce n'est pas la majorité des Américains qui ont élu G.W. Bush et non plus celle qui prône des valeurs conservatrices. Pour tous ceux qui perçoivent les Américains comme un bloc monolithique, une lecture de l'ouvrage (en 2 tomes) Les Américains d'André Kaspi s'impose.
Un fait historique ne parle pas par lui-même, il revient à l'historien de rechercher et de déterminer ce qui est historique et ce qui est représentatif de l'ensemble de courants et de tendances dans le but de contribuer par la suite à l'élaboration d'une explication. À partir de cette prémisse, on peut affirmer que l'étude de l'histoire des États-Unis, de leur naissance jusqu'à nos jours, peut être abordée différemment selon la perspective envisagée. À cet effet, un spécialiste français et professeur d'histoire de l'Amérique du Nord à la Sorbonne, André Kaspi, a publié en deux tomes une histoire américaine. Véritable ouvrage de référence, Kaspi opte pour une vision nuancée de l'histoire américaine.
Premier exemple de cette aptitude de l'auteur à nuancer ses propos, selon André Kaspi, on doit reconnaître que les historiens américains ont privilégié pendant longtemps une image peu glorieuse de la nature de l'Amérindien. De ce fait, l'auteur adopte une vision plus nuancée de la situation tout en évitant « d'attribuer aux Visages-Pâles tous les défauts et tous les crimes, comme si les Peaux-Rouges avaient été des victimes perpétuellement innocentes. » Lorsqu'il aborde l'aspect des échanges entre Blancs et Indiens, Kaspi évoque le fait que ces derniers profitent des produits européens, mais qu'en contrepartie ils interviennent dans un monde qui leur est nouveau, celui de l'offre et de la demande. Pour ce qui est du problème de la terre, l'auteur relève une idée intéressante. Les historiens affirment souvent que les Indiens ne connaissent pas la notion de propriété individuelle tandis que Kaspi rappelle que ce concept n'est pas universel et que l'on retrouve notamment chez les Hurons la notion de défrichement selon le bon gré de l'individu. Cette nuance chez l'auteur ne dissimule pas pour autant un parti-pris pour les Américains même si à quelques reprises, il ne se gêne pas pour rappeler le manque de respect des colons envers les traditions, la culture et les comportements des Indiens. En somme, Kaspi souhaite éviter le piège du mélodrame tout en gardant comme objectif de comprendre comment et pourquoi les Européens sont parvenus à installer leur domination.
Lorsqu'il traite des colonies américaines à la veille de l'indépendance, André Kaspi utilise l'expression « l'unité dans la diversité » pour qualifier le peuple américain de cette époque. De ce fait, il examine la vie religieuse des colonies et rapporte qu'il existe plusieurs regroupements religieux, la plupart unis sous le vocable qu'est le protestantisme. Cependant, il ne faut pas croire que la tolérance règne partout comme en Pennsylvanie, puisque jusqu'à la fin du XVIIIe siècle – là où la foi religieuse décline au profit de la raison – les tensions religieuses sont présentes entre les différentes congrégations. L'auteur souligne, en outre, que les colonies prennent conscience de l'importance de s'unir et de tisser des liens de solidarité à la suite de la crise de 1767-1770. Par contre, les colons ne réagissent pas de la même manière, « [l]es uns se contentent de recourir au boycottage, d'envoyer des pétitions […] [l]es autres sont des « radicaux », des « patriotes », des « violents ». » Voilà donc une fois encore l'approche privilégiée de Kaspi, celle de nuancer les événements du passé dans une évaluation de la période pré-révolutionnaire.
Je recommande ces deux tomes à tous ceux qui sont intéressés par l'histoire américaine et qui veulent acquérir une vision nuancée des événements qui ont marqué l'histoire de ce jeune pays. Par contre, si vous voulez une perspective différente je vous suggère de consulter l'ouvrage d'Howard Zinn (un gauchiste américain) Une histoire populaire des États-Unis de 1492 à nos jours, ce dernier expose la vision de ceux dont on n'a habituellement pas le récit dans les manuels d'histoire (les Indiens, les esclaves en fuite, les soldats déserteurs, les jeunes ouvrières du textile, les GI du Vietnam, etc.). J'aurai certainement la chance de rédiger un commentaire sur ce livre dans les prochaines semaines.