L'éternel retour
À quoi bon vivre si notre passage sur la terre n'est qu'éphémère ?
Question percutante pour un premier message !
Cette réflexion métaphysique est le propre de l'être humain. Ce dernier, contrairement à l'espèce animale, est en mesure de réfléchir sur son existence.
Récemment, je me suis penché sur le concept nietzschéen de l'éternel retour. Sans être un spécialiste en la matière, il me semble que ce concept renferme une théorie intéressante.
Avec son concept de l'éternel retour, Friedrich Wilhelm Nietzsche ne considérait pas l'histoire humaine comme une répétition incessante des mêmes événements (histoire cyclique). Si Descartes avec son célèbre je pense donc je suis (tandis que je doute, je sais que j'existe, car s'il y a un doute, c'est qu'il y a nécessairement quelqu'un qui est là pour douter : cogito, ergo sum, je pense donc je suis) a voulu trouver une première certitude à son existence humaine, Nietzsche, en admettant l'hypothèse cyclique de l'existence, désire élaborer une réalité éthique : si le devenir est un vaste cycle, tout est également précieux, éternel, nécessaire.
Certes, la philosophie de Nietzsche est vaste et complexe et chaque concept contient de multiples dimensions. L'éternel retour, au même titre que les concepts de surhomme ou de volonté de puissance, ne se résume pas en quelques lignes. Néanmoins, il s'avère intéressant de réfléchir à ce qui adviendrait si tout ce que nous avons déjà vécu se répétait indéfiniment :
« Que dirais-tu si un jour, si une nuit, un démon se glissait jusque dans ta solitude la plus reculée, et te disait : « Cette vie, telle que tu l'as vécue, tu devras la vivre encore une fois et d'innombrables fois; et il n'y aura rien de nouveau en elle, si ce n'est que chaque douleur et chaque plaisir, chaque pensée et chaque gémissement et tout ce qu'il y a d'indiciblement petit et grand dans ta vie devront revenir pour toi, et le tout dans le même ordre et la même succession - cette araignée-là également, et ce clair de lune entre les arbres, et cet instant-ci, et moi-même -. L'éternel sablier de l'existence ne cesse d'être renversé à nouveau - et toi avec lui, ô grain de poussière de la poussière ! » -. Ne te jetterais-tu pas sur le sol, grinçant des dents et maudissant le démon qui te parlerait de la sorte ? Ou bien te serait-il arrivé de vivre un instant formidable où tu aurais pu lui répondre : « tu es un Dieu, et jamais je n'entendis choses plus divines ! » Si cette pensée exerçait sur toi son empire, elle te transformerait, faisant de toi, tel que tu es, un autre, te broyant peut-être : la question posée à propos de tout et de chaque chose : « voudrais-tu ceci encore une fois et d'innombrables fois ? » pèserait comme le poids le plus lourd sur ton agir ! Ou combien ne te faudrait-il pas témoigner de bienveillance envers toi-même et la vie, pour ne désirer plus rien que cette dernière, éternelle confirmation, cette dernière, éternelle sanction! » F. Nietzsche, Le gai savoir (p. 341)
Si chaque seconde de notre vie (et de l'existence humaine) devait se répéter, la vie perdrait de sa fugacité. Comme le souligne Milan Kundera, dans le monde de l'éternel retour, chaque geste porte le poids d'une insoutenable responsabilité. Par conséquent, l'idée de l'éternel retour est le plus lourd fardeau (das schwerste Gewicht). Dans le monde de l'éternel retour, les atrocités commises par Adolf Hitler ou Pol Pot ont un poids plus considérable que dans notre réalité quotidienne où les événements affreux (une guerre, un génocide) nous semblent éphémères.
La question que nous devons nous poser pour tout ce que nous voulons faire : le voudrais-je de telle sorte que je le veuille faire d'innombrables fois? Nietzsche s'attaque, avec l'idée de l'éternel retour, au finalisme, c'est-à-dire à la croyance idéaliste selon laquelle l'histoire du monde est gouvernée par un Plan providentiel visant à instaurer le règne de la Morale. Selon Nietzsche...
- L'être n'existe pas, i.e. que l'univers n'atteint jamais un état final, il n'a pas de but (ce qui implique aussi le rejet de tout modèle mécanique); en conséquence, l'univers n'est pas devenu, ce qui signifie qu'il n'a jamais commencé à devenir (rejet du créationnisme).
- L'univers est fini (l'idée d'une force infinie est absurde et reconduirait à la religion).
- La volonté de puissance est une quantité de force; or, selon les points précédents, l'univers est composé d'un nombre fini de forces et le temps est un infini (l'univers n'a jamais commencé à devenir); toutes les combinaisons possibles doivent donc pouvoir revenir un nombre infini de fois. Hyperlien
Ainsi, l'idée du « Retour éternel » s'impose par la critique du finalisme. Dans la philosophie de Nietzsche, il faut reconnaître l'impossibilité à assigner une « fin », c'est-à-dire un terme au devenir. Si (comme dans plusieurs religions) le monde poursuivait une fin, il l'aurait atteint depuis longtemps. Il est évident que le devenir de l'homme persiste et qu'il n'a pas été éliminé.
En faisant de l'athéisme une philosophie de vie, nous nous retrouvons en quelque sorte face au néant. Afin de contrer le pessimisme qui pourrait résulter d'une telle philosophie (je nais, je vis et je meurs), l'éternel retour propose un substitut à tous les athées de ce monde. Chaque acte que tu poses durant ton existence terrestre, pose-le comme si tu devais le revivre éternellement.
Pour plus d'informations :
Oeuvres de F. Nietzsche dont Le gai savoir, la Volonté de puissance et Ainsi parlait Zarathoustra
http://fr.wikipedia.org/wiki/Friedrich_Nietzsche (encyclopédie libre et gratuite)
Le mythe nietzschéen de l'éternel retour retour est aussi étudié dans l'insoutenable légèreté de l'être de Milan Kundera. Il se concentre sur le fait que l'Homme ne vit qu'une fois, sa vie ne se répète pas et donc il ne peut corriger ses erreurs. Et puisque la vie est unique, l'Homme préfère la vivre dans la légèreté, dans un manque absolu de responsabilités.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Kundera